Les premières
notes de musique que j'ai entendues, bébé, étaient sans doute contenues
dans les mélodies et comptines que me chantaient ma mère, pour m'endormir.
Mais je ne m'en souviens pas du tout.
Je me souviens
davantage, bien que ce ne soit encore que vaguement, des chansons que
me fredonnait mon père, les rares fois où il me prenait sur ses genoux,
certains soirs après souper, assis dans la cheminée, auprès du feu qui
réchauffait la maison. J'avais alors entre deux et quatre ans.
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Les premières
" musiques " que j'ai entendu jouer, étaient des chants religieux, accompagnés
à l'harmonium, à l'église où ma mère m'emmenait à la messe du dimanche.
Puis ce furent les musiques assourdissantes de la sono des auto-tamponneuses,
une fois par an, au cours des fêtes foraines qui accompagnaient le "
pardon du Rosaire " chaque premier dimanche d'octobre.
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J'avais bien
dix ans lorsque la première radio fit son apparition chez mes parents
: une boîte rectangulaire blanche qu'on nommait transistor, achetée
par Caoutine (nom breton de Corentin) le commis de la ferme. Cette
boîte blanche était aussi magique pour moi que pour Caoutine lui-même
qui, à vrai dire, ne savait pas très bien s'en servir.
Je me souviens
que parfois, le soir, mes parents allaient " filage " (invités en soirée
chez des voisins ou parents) et me laissaient seul avec Caoutine. J'aimais
bien et lui aussi; car nous savions que nous pourrions écouter le transistor,
tranquillement, plusieurs heures durant, près de la cheminée. D'ailleurs,
dans ces circonstances Caoutine faisait une grosse provision de bois
pour le feu.
La musique
qu'il affectionnait particulièrement, c'était l'accordéon. Et il me
demandait de chercher les stations qui en diffusaient. S'il m'en chargeait
c'est parce qu'il ne savait pas faire la différence entre les grandes
ondes et les ondes courtes. Moi non plus d'ailleurs, mais je savais
que si on n'avait plus d'accordéon en grandes ondes, en appuyant sur
d'autres boutons, il restait encore des chances d'en dénicher en faisant
glisser un curseur tiré par un fil le long d'une fenêtre
rectangulaire qui passait sur des chiffres auxquels je ne comprenais
rien. Et on passait ainsi de longues heures à zapper, pour trouver une
nouvelle source d'accordéon... jusqu'à ce qu'on entende le chien aboyer.
nous signalant que mes parents étaient de retour. Il ne nous restait
alors qu'une minute pour nous déshabiller en vitesse, et nous
glisser chacun dans notre lit en faisant semblant de dormir...
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Devenant
adolescent, j'eus l'occasion d'assister aux nombreux mariages, d'oncles
et tantes notamment. Et dans ma région, on ne concevait pas un mariage
sans accordéon. L'accordéoniste faisait partie de la fête et était présent
dès l'arrivée du nouveau marié chez la mariée, où il jouait déjà quelques
aubades, pendant la collation et avant le départ pour la messe de mariage.
Arrivés au bourg, les convives formaient un cortège, emmené vers l'église
au son d'une marche nuptiale traditionnelle. A la fin de la cérémonie,
l'accordéoniste faisait toujours partie de la photo de groupe. Puis
il emmenait le cortège pour une tout aussi traditionnelle tournée des
bistrots avant le premier repas (appelé lunch dans ma région), correspondant
à un déjeuner. Il donnait, bien sûr, quelques pr ions au cours du
repas, surtout si les chanteurs venaient à manquer; puis assurait l'animation
en attendant le deuxième et " vrai " repas (que l'on appelait d'ailleurs
" le repas "). Le bal de noces faisait immédiatement suite au repas,
et là, notre accordéoniste se faisait accompagner de quelques autres
compères (suivant la fortune et l'ambition des familles) pour
former un véritable orchestre qui sévissait jusque vers les deux heures
du matin.
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Je m'amusais
comme tous les autres gamins, à courir avec eux parmi les convives.
Mais je me postais souvent en bas de l'estrade, tout seul, près de l'accordéoniste,
et je restais longtemps à écouter ce mélodieux bourdonnement emplir
mes oreilles. Parfois même, lorsque l'accordéoniste était assis sur
sa chaise au bord de ce qui lui servait d'estrade, et que l'accordéon
était à portée de ma main, j'essayais de toucher un bouton de l'accordéon,
en plein milieu d'une valse ou d'une gavotte, juste pour me rendre compte
si cela changerait quelque chose à la danse en cours!... et peut-être
aussi, inconsciemment, pour pouvoir me dire: "cette note-là, c'est moi
qui l'ai produite"!
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Puis vint
le droit d'accéder aux fêtes populaires de quartier, la plupart du temps
animées par un seul et unique accordéoniste de la région que l'on nommait
Job Mal (de son vrai nom Joseph Le Masle, originaire de Berné dans le
Morbihan). Au cours de ces fêtes, ce n'était pas de danser qui m'intéressait,
mais plutôt de regarder les doigts de Job Mal courir avec autant d'agilité
sur les boutons de l'accordéon et produire ces sons magiques et mélodieux
qui enchantaient mes oreilles. Un peu plus tard encore, j'accédais au
droit d'aller au bal. Et là encore, la plupart des orchestres étaient
centrés autour d'un accordéon.
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On peut dire que l'accordéon a été mon instrument de musique, celui
qui a formé mon oreille à la musique, celui qui a accompagné mes premières
émotions. C'est certainement pour cela que je me devais, un jour ou
l'autre d'y revenir, en tant qu'acteur cette fois.
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